Depuis des décennies, le numérique révolutionne le monde de l’ingénierie. Les modèles numériques en trois dimensions ont remplacé les dessins, et le développement de logiciels de simulation a permis aux ingénieurs de remplacer les tests physiques par des tests virtuels, plus rapides et moins onéreux. Les bureaux d’études techniques ont ainsi très largement investi dans l’amélioration de l’efficacité de ces solutions, qui demandent une puissance de calcul et de traitement du volume massif de données renforcée.
Grâce à la montée en puissance des ordinateurs, les équipes d’ingénierie ont réussi à développer des modèles numériques de plus en plus sophistiqués, capables de reproduire un nombre sans précédent de caractéristiques produit et de comportements attendus. Aujourd’hui, les jumeaux numériques modifient le mode de conception, d’exploitation et de maintenance des produits dans un large éventail de domaines, allant des machines industrielles aux dispositifs médicaux.
La numérisation a également permis de doter les ordinateurs d’un rôle plus actif dans le processus d’ingénierie. Le design génératif et les approches d’optimisation associées visent à programmer un ordinateur de façon à ce qu’il soit en mesure d’effectuer des centaines – voire des milliers – de simulations, affinant le design produit entre chaque itération, jusqu’à l'identification de la solution la plus pertinente. Il en résulte une meilleure qualité de rendu que celui des concepteurs humains les plus expérimentés.
Une marge de progression non négligeable
Même si son potentiel est manifeste, l’optimisation numérique du design se heurte encore à un certain nombre d’écueils. Par exemple, la simulation de la performance des structures ou des fluides repose sur des équations différentielles impliquant d’importants volumes de calculs, et les optimisations actuelles en matière de design ne peuvent porter simultanément que sur une poignée de paramètres ou en simplifiant les modèles. Par conséquent, les systèmes existants n’explorent qu’une petite partie du champ d’action du design industriel et ont tendance à apporter des améliorations à la marge seulement. Il existe ainsi un écart non négligeable entre l’optimum théorique et les résultats obtenus actuellement.
Dans un monde où les avantages concurrentiels reposent à la fois sur la rapidité de conception et d’exécution ainsi que sur l’innovation, l’approche de simulation traditionnelle pourrait ainsi avoir atteint ses limites, et être dépassée par de nouvelles approches, tirant parti des évolutions dans le domaine de l’intelligence artificielle. Il est désormais temps pour les entreprises d’ingénierie de repenser leur approche en matière d’optimisation du design ainsi que les technologies qu’elles emploient à cet effet.
Une alternative rapide et robuste
Quelques organisations leaders du secteur de l’ingénierie étudient actuellement une alternative promettant un accroissement, de manière automatisée, de la rapidité et de l’efficacité de l’optimisation du design, avec la possibilité d’élargir son application à des enjeux d’ingénierie plus complexes et de plus grande envergure. Cette nouvelle approche repose sur des modèles d’intelligence artificielle dans la lignée de ceux qui ont, dans d’autres domaines, permis la résolution de calculs complexes, allant de la reconnaissance d’images à la maîtrise du jeu de Go. Nous appellerons, au sein de ce document, ces modèles d’apprentissage profond la « simulation neuronale avancée ».
Cette technologie réduit drastiquement les difficultés liées à la complexité des calculs et accélère considérablement le processus de simulation, puisque les modèles d’apprentissage profond tournent beaucoup plus vite que des simulations physiques traditionnelles. Elle offre ainsi une multitude d’avantages concurrentiels pour les organisations qui les mettent en œuvre. Elle permet, en conséquence, de réduire de manière significative la durée de mise sur le marché des nouveaux produits, en raccourcissant le temps alloué au processus d’ingénierie. En limitant la complexité et l’intensité des efforts requis, cette technologie permet de surcroît d’alléger les coûts associés. Par ailleurs, les simulations d’apprentissage profond permettent dans le même temps aux entreprises d’évaluer un éventail beaucoup plus large d’options et d’envisager de nouvelles pistes d’optimisation jusque-là hors de portée des équipes d’ingénierie et, in fine, d’obtenir une meilleure performance du produit final.
La simulation neuronale avancée : un modèle d’apprentissage profond distinctif
A première vue, ce modèle est très similaire aux approches d’optimisation du design numérique. L’équipe d’ingénieurs définit en effet les contraintes et les caractéristiques de la performance souhaitée pour le produit, et l’ordinateur fait ensuite tourner de multiples simulations conventionnelles pour identifier des options de design. C’est à partir de là que les deux types d’approches divergent.
Dans le modèle dit de « simulation neuronale avancée », cette première phase de simulations sert à entraîner un réseau neuronal. Ce dernier, configuré pour ingérer les mêmes données sources, tente de répliquer les résultats du système de simulation par itération. Une fois l’entraînement achevé, le modèle d’apprentissage profond fonctionne de la même manière qu’une simulation conventionnelle, mais beaucoup plus rapidement (figure).

Cette accélération change la donne. Via l’utilisation d’un système d’apprentissage profond, la machine peut explorer une plus grande partie de l’espace de design que celle offerte par une simulation traditionnelle, ce qui facilite l’identification des solutions les plus pertinentes. Les bénéfices de ce processus sont démultipliés grâce à l’utilisation d’algorithmes de recherche avancée issus des travaux de la communauté de recherche en intelligence artificielle. Cette accélération fait de la complexité un obstacle mineur : les équipes d’ingénieurs ont désormais la possibilité d’intégrer dans leur démarche des composants et des systèmes plus élaborés, et de les optimiser simultanément dans de multiples domaines.
Recourir à l’apprentissage profond dans le développement de produits a toutefois des implications majeures pour les entreprises, et qui vont au-delà de leurs simples choix technologiques. Les départements d’ingénierie devront anticiper une adaptation de leur organisation ainsi qu’une répartition différente de leurs ressources. Cela peut se concrétiser par l’acquisition de nouveaux talents (notamment des data scientists, des ingénieurs en données et des spécialistes en apprentissage automatique) et par la mise en place d’un accès à de nouvelles ressources en calcul, en interne ou dans le cloud.
Le modèle de « simulation neuronale avancée » appliqué au secteur de la production d’énergie
Les substituts à l’apprentissage profond sont déjà en train de démontrer leur intérêt dans des environnements particulièrement complexes. Un acteur du secteur de la production d’électricité a ainsi adopté cette approche pour optimiser la conception de turbines de centrales hydroélectriques. Ces machines doivent être configurées individuellement selon les conditions de fonctionnement spécifiques à chaque installation, un processus requérant des milliers d’heures d’ingénierie et pouvant s’étaler sur plusieurs mois.
Dans le cadre d’un projet de transformation mené par cet acteur, une équipe d’ingénierie a noué un partenariat avec un acteur externe pour créer un modèle d’apprentissage profond permettant de simuler la performance des quatre principaux composants de ses turbines. Ce modèle a été conçu pour identifier les facteurs permettant d’atteindre le niveau de fonctionnement souhaité, en tenant compte d’un ensemble de contraintes, allant de la masse et de la force acceptables pour chaque pièce jusqu’aux problèmes d’écoulement des fluides, tels que la cavitation.
Le développement du modèle a duré plus de 6 mois, mais a eu un impact décisif sur le processus de conception. En utilisant la technologie de la « simulation neuronale avancée », les équipes d’ingénierie ont réduit de 50 % le temps de travail nécessaire pour créer le design d’une nouvelle turbine. Par ailleurs, cette approche spécifique a permis d’améliorer la performance des turbines par rapport aux turbines reposant sur un design traditionnel. Pour un barrage hydroélectrique classique, cela permettrait de produire 13,5 gigawatt-heures (GWh) d’énergie supplémentaires par an, soit de satisfaire les besoins de plus d’un millier de foyers.
Dans le secteur de l’énergie éolienne, un autre acteur de premier plan a mis en œuvre cette approche pour optimiser ses algorithmes de contrôle de turbines éoliennes. Par vents forts, celles-ci doivent ajuster leur production, voire être mises à l’arrêt, pour prévenir tout dégât matériel, des décisions ayant des implications considérables pour l’opérateur. En effet, une approche trop conservatrice pourrait conduire à sous-optimiser le potentiel de production, tandis qu’une approche trop agressive risquerait d’entraîner des problèmes de fiabilité de l’installation.
Ce fabricant de turbines, qui utilisait des techniques de simulation traditionnelles pour développer des règles de contrôle spécifiques à chaque site pour chaque turbine, voyait ces simulations chronophages. La durée nécessaire pour évaluer une seule configuration de turbine et pour un seul site était en effet de huit heures en moyenne. Le remplacement du système de simulation initial par un modèle d’apprentissage profond a, dans le cas présent, permis de ramener la durée de ce processus à moins d’une seconde. Grâce au nouveau système, cet acteur industriel peut désormais aider ses clients à optimiser le design de nouveaux projets de fermes éoliennes, en évaluant davantage d’options de configuration de turbines et de sites afin de trouver la solution la plus pertinente. La technologie de « simulation neuronale avancée » a permis une hausse substantielle de la production totale. Les projections établies par ce fabricant de turbines suggèrent qu’en appliquant l’approche à seulement 10 % des investissements en énergie éolienne prévus par l’Europe jusqu’à la fin de la décennie, la production pourrait être accrue de plus de 210 GWh par an, soit l’équivalent d’une alimentation en électricité pour plus de 50 000 foyers.
L’application de l’apprentissage profond au développement de produits n’en est qu’à ses débuts. Après le succès des premiers projets pilotes, de grandes entreprises ont commencé à intégrer la technologie de « simulation neuronale avancée » dans leurs processus d’ingénierie pour un large éventail de catégories de produits. Au-delà d’une extension de l’approche à d’autres secteurs d’activité et de domaines d’application, les équipes en pointe sur le modèle de « simulation neuronale avancée » travaillent également à son intégration dans un processus de design radicalement nouveau. L’une des approches envisagées consisterait à abandonner entièrement la simulation conventionnelle. A la place, les modèles d’apprentissage profond seraient entraînés en utilisant des données empiriques portant sur des produits déjà commercialisés. Cette nouvelle approche permettrait de révolutionner la façon dont les entreprises améliorent leurs produits, avec des outils de design et d’optimisation apprenant automatiquement des précédentes générations de produits.